Les manifestations du 19 août menées par le Parti National Panafricain ont redonné un sens à la rue, faisant ainsi naitre quelques lueurs d’espoir quant aux questions de réformes et d’alternance au sommet de l’Etat. Si chacun y va de son commentaire allant même jusqu’à avoir en ces manifestations des « signes évidents de la fin du pouvoir de Lomé », Me Mouhamed Tchassona Traoré, président du Mouvement Citoyen pour la Démocratie et le Développement (MCD), parti membre du groupe des six, analyse plutôt cette actualité avec beaucoup moins de passion. Le notaire qui souhaite voir rapidement s’opérer les réformes, en appelle aussi à la citoyenneté et au civisme du peuple.
Le 19 Aout dernier, le Parti National Panafricain a organisé une marche qui a dégénéré. Quelle analyse faites-vous de cette marche ?
La mobilisation que nous avons constatée la dernière fois a été extraordinaire parce que d’une part le peuple togolais est fatigué des tergiversations du pouvoir par rapport aux réformes, le mal-vivre et la misère ambiante et tout ce qu’il y a tout autour. On sentait le besoin pour notre population de s’exprimer, de pousser son ras-le-bol au système ; c’est d’abord la première conséquence que l’on peut tirer de la mobilisation. La deuxième est la montée des deux ministres au créneau à la veille pour animer une conférence de presse. Cette sortie a plutôt galvanisé davantage la population qui a voulu sortir ; même ceux qui n’ont pas voulu manifester sont sortis pour montrer à ce pouvoir que nous sommes fatigués. La troisième est que le PNP qui est un parti qui vient de naitre est loin d’engranger un tel nombre de militants de base ; donc toute la population s’était mobilisée. Quoique les autres partis d’opposition n’aient pas donné de consigne, les gens ont décidé de sortir volontairement et spontanément pour grossir le nombre et montrer au pouvoir qu’en réalité ce n’est pas une affaire de parti mais que c’est la population elle-même qui veut exprimer son ras-le-bol pour le système peu importe les couleurs parce que tout le monde a dans ses effets vestimentaires une tenue de couleur rouge et il suffit de la porter pour paraitre conforme aux initiateurs de la démarche. Voilà ce qui explique cette forte mobilisation à travers tout le pays. La conséquence de cette mobilisation est que le service d’ordre du PNP ne pouvait pas envisager des mesures adéquates pour encadrer valablement une marée humaine qui échapperait à ses propres prévisions ; donc ils ont été victimes du succès de l’appel, d’où ce que nous avons connu comme dérapage. On peut condamner que les forces de sécurité aient chargé la population parce que le problème d’itinéraire est insuffisant. On ne peut pas évoquer des questions de détails pour pouvoir écarter une disposition d’ordre constitutionnel qui est le droit pour le peuple de manifester. Mais les raisons, que j’ai évoquées un peu plus haut et qui ont amené le peuple à sortir nombreux, ont pris certainement les forces de sécurité au dépourvu pour la panique de tous côtés au niveau des forces de l’ordre et des organisateurs ; c’est la leçon que nous pouvons tirer de cette marche.
Aujourd’hui après ces événements malheureux, le PNP a fait appel à l’ensemble de l’opposition pour amplifier la mobilisation. Comment vous analysez cet appel ?
Il faut analyser en amont ce qui s’est passé. Pendant longtemps le PNP a dit qu’il n’a besoin de s’associer à aucun parti politique encore moins aux associations pour mener son combat politique. Après ces événements, j’interprète cet appel comme un ralliement. C’est plutôt lui qui se rallie à la position des autres forces politiques. Il a dû comprendre qu’ « une seule hirondelle ne peut pas faire le printemps » et que c’est ensemble qu’on peut mener le combat. Les revendications qui l’ont fait descendre dans la rue ne sont pas différentes de celles de l’ensemble de l’opposition, c’est la forme qui diffère dans l’expression des revendications. Il parle d’un retour à la constitution de 1992 alors qu’en réalité dans les détails nous savons que la constitution de 92, même si elle était bonne par rapport à la manière dont elle a été votée, elle a certainement en son sein des choses à améliorer. Toutes les constitutions du monde souffrent de ces insuffisances ; elles doivent êtres adaptées au fil des années au besoin de développement et à l’évolution de nos sociétés. Les constitutions ne sont pas la bible ou le coran pour être considérées comme immuables. Donc dire aujourd’hui de manière réduite qu’il faut à tout prix retourner à la constitution de 92, je crois que ça devient un certain nombre de paramètres liés à l’évolution de notre société. Je considère son appel comme un ralliement, les événements lui ont montré que tout seul on ne peut rien faire et que c’est ensemble qu’on peut faire des choses lourdes. Beaucoup avaient fait des démarches dans ce sens pour qu’il puisse venir grossir les rangs de l’opposition pour qu’ensemble on puisse mener ce combat mais il a dû refuser. Après ces événements il a compris qu’il faut se rallier. Ce n’est pas une main tendue qu’on a tenue, c’est plutôt lui qui se rallie à la stratégie unitaire qui avait toujours été prônée par les forces politiques républicaines.
Les manifestations du PNP ont montré à suffisance que le peuple togolais n’était pas en réalité fatigué de marcher mais qu’il cherchait une nouvelle offre politique avec de nouvelles stratégies. Mobilisations, marches de protestation depuis des années mais le régime
RPT/UNIR est toujours en place, que faire donc ?
Nous ne pouvons pas croire que c’est seulement par les marches qu’on peut faire plier le gouvernement. Il faut allier carotte et bâton ; ça c’est également une stratégie politique. Mobiliser le peuple c’est bien pour montrer que ce n’est pas une affaire de parti politique mais une affaire de toute la population mais également faut entamer d’autres types de négociation. Et il faut donner des chances aux négociations d’aboutir à des réformes dans des délais raisonnables.
Le Togo appartient à de vastes ensembles économiques régionaux. Nous sommes membre du conseil de l’entente qui regroupe 5 pays, nous sommes membre de la CEDEAO, de l’Union monétaire ouest africaine, membre de l’Union Africaine, nous sommes membre de la francophonie et bien d’autres organisations qui s’intéressent aux questions politiques. Ce sera bien que nous nous ouvrions à ces diplomates pour qu’ils nous accompagnent à trouver une solution idoine.
Vous privilégiez la voie diplomatique ? Ce n’est pas qu’elle est privilégiée, elle doit être associée à tout ce que nous faisons aujourd’hui afin de donner plus de chance de réussite à ce que nous souhaitons sur le territoire du pays. Parce que l’environnement international n’est pas autant favorable au Togo avec les mouvements djihadistes, tout ce qu’il y a comme déstabilisation des pays africains où les grandes puissances ont d’autres choses à faire. Un pays en crise n’est pas ce que nous devons souhaiter dans la sous-région. Ils comprendront le besoin pour la communauté internationale de prendre notre main tendue pour nous accompagner à aller à des réformes sans qu’ils n’aient à craindre des pertes en vie humaines ou autres dégâts collatéraux qui peuvent impacter durablement l’équilibre régional pour des questions de sécurité.
Pour clore cet entretien, que diriez-vous pour l’essentiel ?
Ce peuple fatigué reste toujours mobilisé. La grande défaite d’un peuple c’est la résignation. Un peuple qui se résigne est un peuple mort, or nous savons que le peuple togolais n’est pas un peuple résigné, on doit rester debout mais de façon lucide. Savoir comment orienter ces revendications pour que nous puissions apporter tous les changements majeurs dans notre pays. Le tout n’est pas qu’on fasse les réformes mais cela doit être accompagné d’un changement de mentalité des Togolais. Il ne faut pas non plus céder à ces bruits de couloirs qui disent qu’on ne croit plus aux élections ; le Togolais est fatigué, l’opposition a déçu… Il faudra vaincre ce discours démobilisateur et prendre notre destin en main.
Pour prendre notre destin en main, chaque Togolais en âge de voter doit le moment venu aller s’inscrire sur les listes électorales pour que nous puissions faire la différence. C’est par notre faute, par les omissions sur les listes électorales, le fait qu’on n’aille pas s’inscrire sur les listes électorales, par nos abstentions que nous permettons toujours à ce régime de revenir en force.
Si au moins tout le monde va s’inscrire sur les listes électorales on aura un fichier électoral d’à peu près 5 millions de votants. Si sur les 5 millions de votants, l’UNIR n’a pas un électorat qui dépasse les 1 millions 200, vous voyez la différence que ça peut apporter au moment du vote. L’opposition se bat pour les réformes mais le peuple togolais doit aussi faire sa part du travail en allant s’inscrire massivement sur les listes électorales et en allant voter le jour de l’élection pour le candidat de leur choix.
Bernard Afawoubo
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