Mais pourquoi le célibat féminin est-il aussi pesant dans nos contrées ? Dans nos sociétés patriarcales, le statut de la femme n’est toujours pas assimilé, la gente féminine est encore définie selon trois statuts : fille, épouse et mère.
Être femme n’a pas vraiment sa place dans cette trilogie. À la trentaine le spectre de finir « Bayra » rode déjà et la paranoïa commence à s’insinuer progressivement. Entre susceptibilité et provocation, certaines jeunes femmes ne savent plus sur quel pied danser ni comment réagir pour dépasser cette pernicieuse souffrance au quotidien.
Pour certaines, se soutenir entre copines est le meilleur moyen de résister mais dès que l’une d’entre elles se marie, le regard se vide et les démons étouffés sortent au grand jour. Pour d’autres, c’est la parade des voyantes, des amulettes et du « boukhoukhou » ; enfin, pour une dernière minorité la pression est surmontée avec l’aide des psychologues, qui généralement prennent en charge la sensibilisation de ces jeunes femmes à leur besoin de se réaliser en dehors d’un couple et à s’épanouir personnellement avant tout engagement marital. C’est qu’on se débrouille comme on peut pour résister aux agressions de notre entourage.
A partir de 25 ans et à l’approche de la trentaine, il y a comme un ce je ne sais quoi qui change dans le statut social des jeunes femmes en Tunisie. Une inquiétude diffuse, des regards troubles, avant que la gêne ne s’empare des parents, trop inquiets pour le sort de leurs filles, en âge de se caser. Très peu de jeunes femmes ont le droit de quitter le domicile paren- tal pour s’installer seules, il est non seulement mal vu pour elles de le faire mais le taux de chômage des jeunes ne facilite pas moins leur processus de libération. Ces femmes se retrouvent ainsi face à un contrôle parental direct de leur vie privée et de leurs sorties à un âge où elles devraient voler de leurs propres ailes.
Qu’en pensent les femmes ?
Plusieurs femmes trentenaires interrogées par la rédaction de Livret Santé ont exprimé leur agacement du célibat, pour Nadia 32 ans « ce qui me déstabilise le plus ce sont les regards et les remarques des gens et plus particulièrement des membres de ma famille agrandie…Même quand ils ne posent pas directement la question, leurs regards disent tout, je ne sais pas… Parfois j’ai tendance à exagérer mais depuis quelques temps, je les évite autant que possible »
Rawia 39 ans, divorcée après 8 ans de mariage nous livre :
« J’avais peur du divorce, une peur panique parce que j’ai vécu avec une mère divorcée, j’ai subi par procuration le poids du regard social sur ce statut. Aujourd’hui et après une période de recherche de soi, je me sens en cohérence avec mes besoins et je sais surtout ce que je ne veux plus revivre.
Le célibat est un choix pour moi. Le regard des autres m’amuse à la limite car ils ont tendance à juger à partir d’un trou de serrure, ils projettent sur nous leurs propres craintes. Nos choix sont le résultat d’un vécu et d’une expérience de vie et le seul moule dans lequel j’accepterais de vivre, c’est celui de Ma vérité. Je ne dis pas que je suis hermétique à l’idée de refaire ma vie un jour mais pour sortir de mon confort et de mon bien être actuel, la complicité et l’amitié du futur élu est primordiale. On ne s’engage pas pour les autres ni pour soigner une image sociale et encore moins pour se faire une situation. Il faut beaucoup de courage et de conscience pour être honnête avec soi-même dans une société comme la nôtre. »
Ilhem, 29 ans, homosexuelle.
Sourire aux lèvres nous dévoile «Je n’aime pas les hommes. Dans mon cas, c’est difficile de pouvoir envisager une vie de couple « normale ». Je ne veux pas vivre cachée, ni susciter des réactions extrêmes autour de moi, je veux juste vivre en paix avec la personne que j’aime sous un toit à nous, et pourquoi pas adopter ou donner vie à un enfant un jour. Le regard des autres est une composante très pesante chez les homosexuels, une sorte de troisième personne à gérer.
Et je n’aime pas les ménages à trois (rires) ni les tribunaux à ciel ouvert d’ailleurs, je pense que je partirais tôt ou tard de la Tunisie ». Celles qui ont atteint un certain niveau d’instruction et d’indépendance financière avouent exiger un certain nombre de critères dans le choix de leur partenaire, une sorte de« seuil minimal » de confort financier ou intellectuel qu’elles voudraient respecter. Pour elles, il n’est pas question de s’engager pour faire taire les curieux ou pour répondre à un impératif social, c’est avant tout un choix de partenaire de vie. Leur futur bien être est primordial d’où l’importance du « casting ».
Les profils de ces femmes sont divers et complexes, leur indépendance matérielle et leur niveau d’instruction ne reflètent pas souvent leur« indépendance » et leur liberté sexuelle. Alors que certaines évitent d’en parler par pudeur, d’autres prennent des airs de saintes ni touches dans un jeu de rôles social malsain. Il est à rappeler que le nombre de femmes opérées pour reconstitution de l’hymen reste des plus élevés dans nos régions arabo-musulmanes.
D’autres jeunes femmes trouvent dans la religion le chemin vers l’acceptation : le« retard » de leur engagement trouvera le plus souvent des réponses métaphysiques adaptées au cas par cas, car il est bien question de « retard » et jamais d’un choix personnel.
Mais où en est le bien-être dans tout cela ? Pourquoi tant de gêne à être célibataire ? Est-ce un signe d’échec personnel que de ne pas trouver chaussure à son pied ?
La raillerie de« vielle fille » est très présente dans notre société, remettre en doute la virilité d’un homme ou le capital séduction d’une femme reste le meilleur moyen de les rabaisser et de les vexer. C’est à cette mentalité que l’on doit l’existence du terme « Bayra » qui occupe la seconde place des pires insultes faites envers les femmes. Bayra (Non fertile, non fécondée par extension) est un concentré de Machisme et de misogynie, le mot rassemblerait une charge considérable de préjugés sociaux partagés aussi bien par les hommes que par les femmes elles-mêmes.
L’enfer est humain !
« L’enfer c’est les autres » pour celles qui accusent en silence les jugements tacites de la société, l’enfer c’est aussi un soi non assumé qu’on « reconstitue » le jour J sur une table d’opération, l’Enfer c’est également un espace clos fait de feux et de braises « réels » pour celles qui croient qu’un épanouissement sexuel est interdit en dehors de l’institution du mariage. La croyance qu’on ne dispose pas totalement de son corps et qu’on doit entrer dans le cadre conjugal pour jouir des plaisirs charnels pèse encore beaucoup sur certaines. L’absence de dialogue et la persistance des tabous au coeur des familles et même à l’extérieur ne fait qu’aggraver le problème.
Le résultat : des trentenaires « vierges » s’adonnant à mille pratiques d’hypocrisie sociale. Le problème n’est pas limité à la question du célibat mais dans le rapport au corps et à la sexualité, le terme « Bayra » nous le signifie clairement, comme si une femme ne servait qu’à la fécondation et à la procréation.
Un noeud gordien qu’on ne risque, hélas, pas de résoudre avant plusieurs générations. La question qui se pose alors c’est la suivante : Qui aurait intérêt à contrôler les comportements sociaux par la peur ? Depuis la Génèse, les femmes sont acculées de tous les maux de l’humanité, la stigmatisation du féminin diffère d’une religion à une autre car portée principalement par des hommes, dans le christianisme on accusera Marie Madeleine disciple et amie du christ de prostitution, au temps du Prophète ce sera au tour de Aicha accusée d’adultère. Les idées machistes et patriarcales trouveront toujours le moyen de se transmettre à travers les prédicateurs religieux et les garde-fous de la « Morale » sociale. De nos jours, il y a comme un bond de plusieurs siècles, en arrière ! Quand on pense que certains voient dans la polygamie la résolution « divine » de la question du célibat féminin, que l’avortement, en tant que refus de la maternité est encore controversé au Vatican, la conclusion saute aux yeux.
Le célibat des hommes n’est pas polémique car la liberté sexuelle masculine est acquise, mais c’est le contrôle de la sexualité féminine que ces prédicateurs convoitent. Avec la précarité de la vie, le chômage, l’ignorance généralisée, les décennies à rattraper en termes de droits de l’homme, le taux d’analphabètes et d’enfants déscolarisés, l’infrastructure dans les hôpitaux et les services de maternité, le nombre des califes et des « lumières » qui circulent, on a comme une « intime conviction » que la solution du célibat (féminin précisons-le) est dans le retour des harems, qu’en pensez-vous ? Pour finir mesdames, mesdemoiselles écoutez vos besoins, écoutez votre corps et ne laissez aucune autorité décider pour vous. Loin des alibis religieux, et surtout grâce à personne, Vous êtes libres à partir du moment que Vous décidez de le devenir!
par Raya Laajimi, Source www.livretsante.com
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