A l’issue de plusieurs jugements sans gain de cause, seule face à son destin, huée et rejetée par sa communauté, Dame que nous nommons Afi, pour préserver son anonymat, s’est résignée à fuir les pressions sociales insupportables, et s’installer loin de ses origines, de peur pour sa vie. Et pour seul motif, les familles ne veulent pas partager un héritage foncier avec une femme. Les raisons évoquées : la peur que la femme ne cède à son tour sa part d’héritage à sa famille maritale. De ce fait, tous les moyens sont bons pour l’en empêcher. Ainsi qualifiée de sorcière, elle perd tous droits à l’héritage foncier.
Les réalités
Femme sorcière, c’est la trouvaille autour de laquelle se greffe ce refus de concéder à la femme, son droit à l’héritage foncier.
Cette autre considération révèle des non-dits, également la cause des inégalités dans le partage de l’héritage foncier en Afrique de l’ouest.
Cette catégorie de femmes dites sorcières subit aussi des brimades dans l’accès à l’héritage foncier parce qu’elles ne sont pas acceptées dans les communautés.
Conflits genre
Une fois reconnues comme telles, malgré l’absence de preuves rationnelles, ces femmes sont victimes de rejet communautaire causant ainsi la perte de tous leurs droits y compris celui de l’héritage foncier. Contraintes à l’exil et excommuniées, elles n’ont pas non plus le courage de faire recours à la justice…de peur d’être renvoyées à la tradition…
Ces pratiques ne datent pas d’aujourd’hui, elles sont récurrentes partout en Afrique de l’ouest.
Et comment en est-on arrivé là ?
L’exclusion des femmes à l’héritage foncier est toujours d’actualité. De tout temps, le prétexte évoqué est que la femme serait moins capable de sauvegarder l’héritage foncier. De ce fait, les familles ou les cohéritiers craignent de ce que les parcelles cédées à la femme ne retombent dans des mains indignes, pour ainsi dire, la certitude que l’héritage ne change de main est minime, alors que suivant les règles de la coutume, le lègue reste quasi intuitu personae.
Les insuffisances des textes
Même si le droit moderne concède à un propriétaire de disposer pleinement de son bien, ce n’est pas le cas en droit coutumier.
En effet, l’exclusion des femmes à l’héritage foncier a été motivée par des prétextes arguant que la parcelle octroyée à la femme souffre d’incertitude de conservation à long terme suivant le truchement d’adoption du nom de mari par l’épouse.
Bien que les récentes évolutions du cadre juridique, en terme du droit au foncier dans la zone ouest africaine, sont en faveur de l’inclusion genre, mais il existe toujours des poches de résistance dans la pratique qui usent des subterfuges pour parvenir à leurs fins. Les faits ci-dessus relatés sont des vécus observés à Pagouda, dans la préfecture de la Binah, au Togo.
Rachel
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PERSISTANCE DES OBSTACLES AU DROIT SUCCESSORAL DE LA FEMME A LA TERRE :
Le rêve brisé d’une battante
Disposer d’une parcelle du domaine familial a été un atout pour Akossiwa qui y menait des activités champêtres, jusqu’au décès de son père. Le champ d’Akossiwa s’étendait sur deux hectares et lui rapportait plus d’un million de francs CFA chaque saison. Ce qui lui conférait la réputation de femme battante dans la localité.
Fille ainée d’une fratrie de neuf enfants, Akossiwa ambitionne devenir la plus grande cultivatrice d’Attitogon, un village de la préfecture du Bas-Mono dans la région maritime du Togo.
Malheureusement, le rêve d’Akossiwa fut brusquement brisé suite au décès de son père.
Comment en est-on arrivé là ?
Le poids de la tradition constitue des obstacles au droit successoral de la femme à la terre dans plusieurs localités du Togo.
En effet, dans le village d’Attitogon, les filles sont exclues du partage des terres du défunt. Elles sont purement et simplement écartées de la succession afin d’éviter que les biens fonciers ne sortent du patrimoine de la famille paternelle.
« La terre étant dans nos coutumes, un bien collectif, la fille en se mariant introduirait des « étrangers » (ses enfants), qui viendraient déposséder la collectivité de son patrimoine foncier. Elle hérite d’autres biens de son père, mais pas de la terre », soutient mordicus Aholou, le patriarche.
L’exception manquée
A Attitogon, il est de notoriété que la femme n’a pas droit à la terre. La plupart des cultivatrices travaillent pour leurs maris ou font du métayage.
Akossiwa était une curiosité dans le village en tant que femme qui s’est dégagée du lot des femmes exclues dans leurs droits d’accès à la terre en exploitant pour son compte quelques hectares de terre cultivable, grâce au soutien indéfectible de son défunt père.
Un concours de circonstance favorable, le père encore vivant, avait bravé les obstacles, facilitant l’exploitation des terres à sa fille, il pensait ainsi réduire sa vulnérabilité, en lui concédant une portion de terre, mais hélas. Le père a manqué d’assurer la pérennité de sa volonté en sécurisant la parcelle attribuée à sa fille ; ne prévoyant pas qu’à son décès, la famille en décidera autrement.
La persistance des clichés
A Attitogon, le déni de droit foncier aux femmes porte sur le refus systématique d’accorder aux femmes le droit d’hériter du foncier paternel ou familial, au même titre que les hommes.
C’est ainsi qu’au lendemain des funérailles de son père, le conseil de famille a procédé au partage des biens aux héritiers selon la tradition. Seuls les garçons ont hérité du vaste terrain et quelle ne fut la surprise d’Akossiwa de se rendre à l’évidence qu’elle ne peut plus exploiter le champ qu’elle cultivait.
Depuis lors, la vie est devenue un véritable calvaire pour la brave Akossiwa, sacrifiée sur l’autel des traditions.
Malgré l’existence d’un cadre légal favorable au droit d’accès de la femme à la terre, force est de constater que dans cette localité, les chefs traditionnels évitent d’aborder le sujet. Le droit coutumier supplante toujours le droit moderne.
Le cadre légal
Aux termes de l’article 11 de la Constitution togolaise, «la femme a les mêmes droits que l’homme devant la loi ».
L’état togolais, en ce qui concerne la politique foncière, fait de l’égalité entre l’homme et la femme une préoccupation majeure. Ainsi, le paragraphe 5 de l’article 14 du code foncier et domanial vise à « … garantir que les hommes et les femmes jouissent de tous les droits fondamentaux sur un même pied d’égalité (…), l’état doit faire en sorte que les femmes et les filles jouissent de l’égalité d’accès aux terres … ».
Comment sauver d’autres femmes comme Akossiwa ?
Nombreuses sont ces braves femmes à subir encore et encore les affres du droit coutumier dans nos cantons à l’instar d’Akossiwa.
Il urge que les Chefs traditionnels, garants des us et coutumes, s’impliquent davantage dans la défense du droit de la femme à la terre dans leurs localités.
Isidore Akollor
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Tchakassou toujours hostile au respect du droit foncier à la femme
Suite au décès de son mari, veuve Bagnemba décide de rentrer en famille pour s’adonner aux travaux champêtre en vue de subvenir aux besoins vitaux de ses deux enfants. Alors qu’elle comptait exploiter une partie du vaste domaine terrien de leur défunt père, elle est malheureusement confrontée au refus catégorique de ses frères, du Conseil de famille et des autorités coutumières de réaliser son rêve.
Tchakassou hostile au droit foncier de la femme
Fille d’un propriétaire foncier, Bagnemda se retrouve malheureusement sans terre pour cultiver, une fois de retour dans son village Tchakassou, après le décès de son mari. Devenue veuve et sans aucun soutien venant d’ailleurs, son seul espoir, c’est de s’adonner aux activités agricoles surtout que leur père défunt a laissé à sa progéniture de vastes domaines de terres à exploiter. Seulement que, dans sa communauté comme dans d’autres localités dans la préfecture, le déni du droit successoral de la femme à la terre est la chose la mieux partagée et pratiquée. La dame Bagnemda en sera malheureusement victime. Ses parents et autres frères, se basant sur leurs pratiques coutumières et ancestrales qui écartent les femmes du partage de l’héritage familial surtout foncier, refusent à leur tour, de céder une parcelle à la veuve pour exploiter à des fins agricoles.
Bagnemda victime des pratiques ancestrales et coutumières
Le droit moderne est encore méconnu ou non respecté dans certains milieux surtout dans le village où les pratiques traditionnelles et coutumières continuent par faire leur loi en excluant les filles ou les femmes de l’héritage.
Dans les milieux traditionnels, la femme est considérée comme « un corps étranger », du coup, elle est exclue du partage de l’héritage foncier. Aussi, ses frères pensent que si elle en bénéficie, ses enfants qui ne sont pas de sa famille biologique vont devenir ainsi propriétaires un jour alors que ces derniers ne sont de sa famille.
Des outils juridiques violés quotidiennement
Malgré l’existence des outils juridiques pour garantir le droit foncier à la femme, les pratiques coutumières continuent par prendre le dessus dans plusieurs localités. De la Constitution togolaise au nouveau code foncier et domanial en passant par le code des personnes et de la famille, le principe de l’égalité des sexes devant la loi est violé quotidiennement par les praticiens de la coutume en toute ignorance ou volontairement. C’est le cas dans le canton Namon avec Bagnemda et plusieurs autres femmes qui restent dans le silence.
De la nécessité de mettre en place des outils d’assistance juridique aux femmes
En attendant la mise en place dans les communes des outils d’assistance juridique aux femmes pour la défense de leur droit foncier, sur initiative de certaines bonnes volontés, il est mis en place dans la localité, un système d’arbitrage pour régler des litiges fonciers dans lesquels le droit de la femme est violé en faisant respecter les outils les outils juridiques en vigueur dans le pays qui reconnaissent le droit foncier ou encore l’égalité des sexes devant la loi. Sauf que ce Comité dirigé par une femme est confronté aux pesanteurs socio-culturelles. Des hommes ont une mauvaise appréhension de cette gestion du comité par une femme surtout que dans leur communauté, la femme ne doit pas diriger les hommes. Du coup, ils font tout pour mettre les bâtons dans les roues de la femme qui gère les questions tout en refusant de reconnaître le droit foncier aux femmes. Le comble, des autorités traditionnelles et coutumières souhaitent qu’on remplace la femme à la tête du Comité du système d’arbitrage.
Face à cette situation, il est nécessaire pour les autorités compétentes, de multiplier des séances de sensibilisation dans la localité pour faire comprendre à la population surtout aux hommes que les femmes ont droit à la terre au même titre qu’eux, et qu’elles peuvent être également aux postes décisionnels comme c’est le cas actuellement dans le canton de Namon, où une femme dirige le comité du système d’arbitrage du droit d’accès de la femme à la terre.
Toutefois, la mise en place dans les communes des outils d’assistance juridique aux femmes pour la défense de leur droit foncier
Si Bagnemda n’était certainement pas informée de l’existence d’un système d’arbitrage dans le canton de Sanda Kagbanda, elle ne pourrait pas quitter le canton de Namon, dans le Dankpen pour aller solliciter ces services jusqu’avoir gain de cause.
Elles sont encore nombreuses ces femmes victimes du déni du droit successoral et qui ne savent pas qu’elles pourraient se recourir à un système d’arbitrage ou à la justice pour rentrer dans leur droit.
Ayi ATAYI
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